Namloth chez sa mère.

La nuit avait déjà pris son voile noir lorsque Le Seigneur des Elfes et la Dame des Nains arrivèrent auprès de la demeure d'Arnea. Une lueur pâle de feu de bois luisait à travers les fenêtres et la petite cheminée en glaise crachotait doucement de la fumée. Un parfum exquis embaumait près de la petite chaumière appuiée sur un magnifique chêne tel un vieillard sur une canne trop grande.
Voilà qui servait donc de "palais" aux Elfes de l'Ombre Verte: une maisonnette de boue et de paille, un peu de travers, dégageant un charme rustique certain. Elle était néanmoins plus spacieuse que les huttes des autres Elfes, et nettement plus confortable, et bien mieux aménagée. Mais tout de même.... Qui aurait bien pu croire qu'une reine habitait là, dans ce que les humains aurait appelé avec mépris "taudis"?

Sur le chemin vers la clairière où se trouvait l'humble logis de la Dame des Elfes, Erenim avait indiqué à sa comparse plusieurs autres petites maisons, cachées dans la pénombre de la forêt, toutes identiques, et pourtant si différentes, dégageant une aura propre et unique. Les maisonnettes étaient situées ci et là dans la forêt, au pied des plus beaux arbres, ou des plus vieux, comme si elles avaient été jetées depuis les cieux et s'étaient éparpillées durant leur chute dont l'atterissage n'avait pas du se faire tout en douceur... La plupart d'entre elles n'étaient pas fort droites, et les cheminées étaient placées de façon plus que fantaisistes. Sur certaines maisons, du lierre sauvage envahissait les murs, et les habitants ne s'en souciaient guère.
Ici, tout était plongé dans un calme inquiètant. Tout semblait à l'abandon, hormis quelques huttes d'où sortait un délicat brouillard foncé, et d'où on entendait des paroles et des rires de familles d'Elfes comprenant de jeunes enfants que le sommeil devrait bientôt emporter au pays des songes. Mais un léger bruissement dans les feuilles annonçait à tout voyageur que la forêt n'était point inhabitée. En effet, les Elfes d'ici se plaisaient à grimper haut et à rester seuls ou avec quelques compagnons dans les branches des arbres. Les habitants d'ici étaient tranquilles et aimait à vivre sans surprises, et la forêt leur ressemblait à tout points. Grande, verte, touffue, et troublée que par de rares vents qui faisaient balancer les branches comme si elles dansaient au son d'une musique inaudible.

Une claire lumière de lune, autour de laquelle s'allumaient une à une les étoiles, illuminait le clairière centrale. Namloth s'approcha doucement de la porte de la chaumière et frappa trois coups...

La porte grinça en s'ouvrant, et une magnifique Elfe apparut: Arnea.

La Dame des Elfes de l'Ombre Verte était fine et gracieuse, et son visage semblait illuminé par la lune. Bien des gens la jugeait être la plus belle Elfe du monde entier. Ses cheveux étaient blonds cendrés, comme ceux de Namloth, et ses yeux avait la couleur de la mer. Son visage était blanc, ses joues roses, et ses lèvres couleur framboise. Elle postait une délicate robe verte faite d'une étoffe légère, qu'une ceinture brune retenait à la taille. Une cape gris perle était agrafé à ses épaules. Nul bijou, son sourire seul suffisait.

Le visage de la Dame prit un instant une expression étonnée en voyant sa fille à sa porte. Elle la regarda de ses yeux profonds et esquissa un sourire bienveillant.
"Entrez, ne rester pas dans le froid!"
Sa voix était douce et claire comme le chant de l'eau, et semblait en harmonie avec sa beauté exceptionnelle. Erenim recula d'un pas.
"Je préfère vous laisser, ma Dame. La nuit sera belle, et les étoiles m'attendent."
La Dame des Elfes lui sourit, et elle et Namloth le regardèrent partir avec un signe de la main dans les buissons. On voyait bien que ce jeune homme avait connu la maison de la reine de l'Ombre Verte. Il se muait avec la même grâce et avait la même délicatesse. Il n'avait pas dit, mais l'avait tendrement sous-entendu, qu'il savait que les deux Dames préféraient se retrouver entre elles. Arnea suivit sa fille à l'intérieur.

La maisonnette n'était pas richement meublée. Un lit proprement fait d'un côté, une petite table de travail sur laquelle trainait encore un pot d'encre ouvert de l'autre, une table avec ses tabourets au milieu de la pièce, quelques armoires en bois sculpté, quelques étoffes au mur, en guise de décoration. Dans le coin le plus sombre de l'unique pièce étaient installés le lit et le bureau de travail d'Erenim. Dans le feu de la cheminée en pierre brûlait un bon feu, au-dessus duquel était accroché une marmite dont s'émanait une odeur de soupe.

Arnea se dirigea vers une armoire et en sortit deux verres en métal et une gourde. Elle servit à sa fille un peu de liqueur de framboise et sortit un instant.
Namloth regardait autour d'elle. La petite maison ronde lui avait toujours plu. Elle était tellement simple, tellement cocasse. Elle aimerait infiniment plus habiter ici que dans la grotte admirablement bien sculptée de Tumfor et Ian, qu'elle partageait de plus avec une colonie de "frères" et "soeurs" bruyants et bagareurs.
La Dame des Elfes refit son appartition. Elle portait dans ses bras quelques bûches qu'elle s'empressa de mettre sur le feu. Elle souffla sur les braises pour le faire redémarrer de plus belle. Il était étrange de voir cette si jolie femme accomplir une tâche aussi ingrate! Puis, se frottant les mains pour en enlever la poussière, elle vint enfin s'asseoir en face de sa fille...

"Qu'est-ce qui t'amène, ma fille?"
La question d'Arnea bouscula Namloth. Elle arrivait un peu à l'improviste, et se sentait gênée d'avoir peut-être dérangé la Dame des Elfes.
"Rien que le désir ardent de vous voir, ma mère."
Arnea souria tendrement. Elle aimait beaucoup Namloth, et s'y revoyait du temps où elle était jeune. Mais c'était si loin, si loin.

Elle se souvenait encore des jours heureux qu'elle coulait alors avec son père et son grand-père, avant que la guerre n'emporte tout, et eux aussi. Elle s'était alors replié avec les derniers rescapés de son peuple dans les Rocs Gris, et ils avaient découvert cette petite forêt où il faisait aujourd'hui bon vivre. Tout ça c'était déroulé il y a bien des siècles à présent!
Maintenant, le peuple de l'Ombre Verte était devenu une légende chez les humains, et une rumeur chez les autres Elfes. On disait d'eux qu'ils vivaient en paix totale avec les Nains et certains contes parlaient même de maisons dans les rochers!
Paix, oui, mais précaire! Il y avait maintenant bientôt 50 ans, les Nains avaient percé un peu trop loin et s'étaient retrouvés dans la forêt. Une bande de gardes surpris les avaient immédiatement attaqués et tout aurait pu mal tourner si Namloth, alors petit enfant, n'avait pas été là. Tout en se promenant dans les bois, la fillette, était arrivée près du lieu du combat et les Elfes, de crainte de la blesser d'une flèche maladroite ou de la choquer, arrêtèrent le combat. Le Roi des Nains, Tumfor, et Arnea engagèrent alors les discutions, et tombèrent enfin sur un accord, après plus de deux mois de pourparlers. Les Rocs aux Nains, la Forêt aux Elfes, et nul personne ne pourrait se promener dans le territoire de l'autre race avec une arme. Pour sceller cet accord, Tumfor avait confié à Arnea son fils aîné, Erenom, et elle à lui sa seul fille, Faloth.
Pour confirmer ce pacte, les deux enfants changèrent de nom. Erenom, le Fils des Nains, devint Erenim, les Fils des Peuples, et Faloth, le Fruit de la Forêt, devint Namloth, le Fruit de la Grotte. Depuis, ils vécurent chacun dans le peuple opposé, et tout allait pour le mieux.

"C'est bien gentil à toi! Mais as-tu au moins pris le soin de prévenir Tumfor et Ian?"
Arnea avait touché là où il ne fallait pas. Namloth baissa les yeux et prit un air penaud, bien plus explicite que toute parole.
"Il étaient absents, ma mère..."
Namloth bredouilla en essayant de se justifier, mais la Dame des Elfes la regardait avec un oeil sévère. Elle savait à quel point une fugue de sa fille pouvai être dangereuse pour la tranquillité des deux peuples.
"Namloth! Voilà qui n'est pas correct! Tu vas me faire le plaisir de rentrer rapidement et de t'excuser!"
Le ton exaspéré mais dur d'Arnea n'attendait aucune réplique. Namloth se hasarda quand même.
"Les gardes m'ont vue partir! Et j'étais avec Erenim!"
En réponse à sa tentative, Namloth reçut un regard dur. Elle se releva et glissa le tabouret sous la table, puis se dirigea vers la porte. La Dame la devança et lui ouvrir le passage.
"A bientôt, ma fille. Hâte-toi, il fait déjà noir!"
Accueillant l'ultime recommandation d'un hôchement de tête, la jeune Elfe s'élança dans la nuit.

Dans toute la forêt, une douce mélopée commençait à prendre de l'ampleur. Les Elfes chantaient...
Des larmes coulaient sur les joues de la princesse Elfe, et elle tremblait de sanglots tout en courant vers la demeure des Nains.
Du haut d'un petit chêne, un jeune homme l'observait tristement, son pipeau à la main. Quand Namloth trouverait-elle enfin sa place? Pour oublier la boule dans sa gorge, Erenim retourna s'asseoir tout contre le tronc et se mit à jouer sa mélodie préférée, tout doucement...

Suite dans les Rocs Gris: "Le Seigneur des Elfes et la Dame des Nains"

» Namloth Vylia